Mayotte le 22 Janvier 1874 Ma bien aimée Voila à

Mayotte le 22 Janvier 1874

                Ma bien aimée Voila à peine un mois que nous nous sommes séparés et déjà j’ai eu l’occasion de me Féliciter de l’heureuse inspiration que j’ai eue en combattant ton désir de m’accompagner à Nossi Bé. En effet quarante quatre heures âpres mon départ des Seychelles j’ai fait naufrage et Pendant vingt sept jours j’ai vécu sur une ile déserte, sans pouvoir communiquer avec le reste Du monde. Telle est la raison, ma bien aimée, pour laquelle tu n’as pas reçu de mes nouvelles Le mois dernier. Je puis maintenant que je suis sain et sauf, te raconter les péripéties de ce triste épisode Qui fera époque dans mon existence ! depuis le 18 novembre, c’est la première fois que je T’écris. Jamais, éloigné de toi je n’étais resté si longtemps sans l’entretenir. Tu sais qu’en Pareil circonstance j’ai l’habitude de te communiquer chaque jour toutes mes pensées. Cette fois J’ai dérogé à ma coutume. Je ne voulais pas te faire connaître mes petites souffrances. Ecrivant sur les lieux mêmes du sinistre, avec les préoccupations de toutes sortes qui Agitaient mon esprit, mon récit t’aurait trop vivement impressionnée. D’ailleurs, de mon coté, je Ne voulais pas arrêter ma pensée sur les misères que mes compagnons d’infortune et moi nous Eprouvions, dans la crainte de me laisser aller au découragement. Tu n’auras dons pas jour Par jour l’histoire de notre naufrage. Ce fut le 19 novembre au matin que le « Dot » quitta Mahé à destination de Mayotte Il avait comme passagers le Commandant Nossi-Bé, M. Fontaine, le greffier du Tribunal M. Murgy, moi et un capitaine de Corvette de la Marine Portugaise qui se rendait à Mozambique. Sa cargaison se composait de trois cent mille francs en argent, appartenant au Gouvernement français et à divers particuliers, de sacs de vacoa et de quelques caisse d’articles Divers. Le « Dot » arrivait d’Angleterre. A Mahé il avait changé son équipage européen contre Un équipage noir, et Chanu en avait pris le commandement . sur les 14 hommes qui formaient Son équipage, cinq étaient Comoriens, cinq autres Seychellois, l’un des mécaniciens était Danois, L’autre Belge, le maitre d’équipage était Anglais. Tous ces gens de nationalités différentes et ne Se connaissait que depuis quelques jours constituaient un assez triste équipage. A peine se Comprenaient-ils les uns les autres.